Laurent Cantet est un cinéaste « intimement politique ». En véritable radiographe des liens entre l’intime et le collectif, il bâtit une œuvre singulière, interrogeant les limites de la fiction et du réel. Un cinéma à la fois humble et ambitieux, profond et ouvert à tous, engagé mais tempéré qui enjoint à espérer, à réfléchir, à se révolter, mais sans rêver hors sol. Ce rapport ténu au réel et l’intelligence des thèmes abordés font de Laurent Cantet l’un des cinéastes majeurs du cinéma français.
BIOGRAPHIE
Le collectif, Laurent Cantet le met en pratique dès son entrée à l’IDHEC (école de cinéma devenue aujourd’hui la FEMIS). Il y rencontre « la bande » composée de Dominik Moll, Gilles Marchand, Vincent Dietschy et Thomas Bardinet. Amis et habitués durant leurs études à occuper différents postes dans les films des uns et des autres, ils fondent ensemble une société de production commune, Sérénade.
L’envie de poursuivre cette expérience de groupe donnera naissance à de nombreuses collaborations, parmi lesquelles Tous à la manif, court métrage avec lequel Laurent Cantet se fait remarquer. Il y dépeint la revendication politique et le décalage d’une génération.
« La bande est très importante pour moi. Cette petite famille est une des choses essentielles. Seul, je n’aurais jamais trouvé la confiance suffisante pour me lancer dans ce premier projet de Tous à la manif. »
Après la réalisation de Les sanguinaires, film de commande de la chaîne Arte qui demande à plusieurs cinéastes de filmer leur idée du passage à l’an 2000, Laurent Cantet s’attèle à Ressources humaines, le film qui va enfin le révéler au public (César de la meilleure première œuvre de fiction en 2001). Le scénario, rédigé suite à des ateliers d’écriture menés auprès de chômeurs, est un film coup-de-poing sur le monde du travail, où s’entremêlent rapports sociaux et familiaux, dans un réalisme criant dû à la présence d’acteurs non-professionnels.
« Je voulais mêler l’intime et le politique. Mais que le politique ne soit vu qu’à travers les répercussions qu’il a sur l’intimité de nos vies. »
Comme si chaque film se construisait à partir du précédent, l’envie de continuer à réfléchir autour du monde du travail, de ce que cela implique dans nos vies quotidiennes, de la façon dont cela nous définit socialement amène alors Laurent Cantet à L’emploi du temps (scénario de Robin Campillo, autre fidèle de « la bande »).
« Dans les débats qui suivaient les projections de Ressources humaines, je me rendais compte que la valeur travail était placée extrêmement haut dans l’échelle des personnes qui intervenaient. J’ai alors voulu remettre en question cette valeur-là, avec l’envie de dire que l’on peut se définir autrement qu’à travers sa profession. »
Ce film, le seul dans la filmographie de Laurent Cantet qui n’est pas consacré au groupe, est inspiré par l’affaire Romand, cet homme qui avait prétendu pendant des années être un médecin-chercheur alors qu’il passait ses journées sur un parking, qui va le cacher à sa famille avant de tuer celle-ci quand ses mensonges seront découverts.
Le seul qui ne parle pas du groupe… mais bien de comment y échapper, comment s’échapper du collectif ? Le contre-exemple parfait de ce qui peut arriver quand on n’a plus de lien social, plus de vrai rapport à l’autre.
En 2005, avec Vers le Sud le cinéaste se confronte pour la première fois à une terre lointaine (Haïti) et à une actrice renommée (Charlotte Rampling). En adaptant des nouvelles de Dany Laferrière (La chair du maître), il trouve une nouvelle manière d’articuler l’intime et le politique en se penchant sur le tourisme sexuel. De riches blanches américaines viennent s’y « offrir » de jeunes amants noirs pour assouvir leurs besoins et frustrations, étant chez elles considérées comme « périmées ». Selon les propres termes de Laurent Cantet, le film met en regard la misère sociale des uns et la misère sexuelle des autres.
Et puis vint… mai 2008…
« Cela faisait longtemps que je voulais jeter un œil dans la boîte noire, dans ce microcosme que constitue une classe. J’avais commencé à écrire quelques scènes… et au hasard d’une émission de radio, je croise François Bégaudeau venu parler de son livre Entre les murs. Cela semblait comme une évidence, on s’est mis au travail, avec François et Robin Campillo car, plus qu’une adaptation du livre, nous voulions mettre en place un dispositif pour laisser entrer la vie dans ce réel fabriqué. Nous avons organisé un atelier d’improvisation au sein d’un collège. Les adolescents y venaient sur base volontaire. Très vite, on a introduit des caméras, puis des « personnages » à jouer. Progressivement, des profils se sont dessinés. C’était à la fois passionnant et terrifiant de voir qu’avec les impros, on retombait plus ou moins au mot près dans ce que François décrivait dans son livre. »
Au moment du tournage, François Bégaudeau, qui joue son rôle de prof, agit comme l’agent infiltré de la réalisation. Il sait où Cantet veut aller avec telle ou telle scène et, avec son talent de prof, parvient à y amener les uns et les autres.
Le résultat offre un film unique, bouillonnant, vrai, vivifiant, révélateur de son époque. Et remporte, à l’unanimité du Jury, la Palme d’Or au Festival de Cannes.
« Ce qui était important, c’était de partager ce moment avec toute la bande réunie là-bas. Mais aussi, surtout, pour une fois, ces jeunes gens qui d’habitude sont plutôt montrés du doigt, là, devenaient tout à coup presque une image officielle de la France. On reconnaissait qu’ils faisaient partie de notre communauté, on reconnaissait leur talent, le travail qu’ils avaient fourni et la sympathie qu’ils dégagent. »
Le film est un succès mondial et Laurent Cantet est pareillement reconnu partout dans le monde.
Il ne renonce pas pour autant aux thèmes qui lui sont chers dans son film suivant, une autre adaptation littéraire, qui sera tourné au Canada anglophone.
« J’étais en train de monter Entre les murs et l’énergie de ce groupe d’adolescents m’avait porté, le tournage de ce film avait été un moment tellement magique que, secrètement, j’avais envie de le reproduire en me confrontant à nouveau à un groupe d’adolescents. Et en lisant le roman de Joyce Carol Oates, Foxfire, confessions d’un gang de filles, j’y ai retrouvé tous les thèmes qui me sont chers : le groupe, le collectif, la façon dont on s’inscrit dans ce collectif-là, la façon dont on peut résister à toutes les violences sociales. »
L’histoire d’une bande de gamines qui, dans une petite ville de l’état de New-York, dans les années 1955, décident d’unir leurs forces pour lutter contre le machisme et laminer tous ceux qui pourraient les réduire à l’état de poupées.
Féministe avant l’heure, le film ne trouvera pas son public et Laurent Cantet vivra assez mal cet échec.
Sa rencontre avec l’écrivain cubain Leonardo Padura donne alors naissance à Retour à Ithaque. « Je voulais donner la parole à des Cubains pour qu’ils racontent leur histoire récente, dans un film où il serait surtout important pour moi de les écouter, d’où la simplification maximale du dispositif. »
Unité de lieu (une terrasse surplombant les toits de La Havane), unité de temps (une soirée et une nuit) pour les retrouvailles de cinq amis après un long exil de l’un d’entre eux. Les souvenirs, les désillusions et désenchantements retracent, une fois encore, l’utopie collective et les histoires intimes de chacun.
En 2017, avec L’Atelier, il continue d’explorer le groupe, la transmission, la parole. C’est que les attentats de Paris ont eu lieu et Cantet sait comme personne percevoir et restituer les changements profonds d’une époque. Entre ce groupe de jeunes de la Ciotat et l’écrivaine descendue de Paris pour animer un atelier d’écriture, ce n’est pas seulement un drame romanesque qui se noue mais un débat essentiel pour notre temps.
« Ce n’est pas qu’un regard sur cette jeunesse – qui m’intéresse parce qu’elle a plein de choses à nous dire et que j’ai envie d’écouter – je ne voulais pas que ce ne soit qu’un traité de sociologie. Les choses me touchent quand elles sont incarnées, vécues par un personnage et toutes les discussions qui vont avoir lieu autour de cette table et qui vont permettre aux uns et aux autres de se muscler résonnent ensuite de manière beaucoup plus intime dans cette relation complexe entre Olivia et Antoine. »
« Laurent Cantet est donc un cinéaste politique au sens le plus noble et le plus large qui est le souci du rapport entre l’individu et le collectif. Mais quand on dit « cinéaste politique », il ne faut pas oublier « cinéaste ». Les films de Cantet sont des études de visages, des exercices sur la circulation de la parole. Voir un film de Cantet, c’est voir comment la parole s’ordonne, se brouille, s’organise, se répond, s’apprend, s’éduque, s’entraîne, s’enchaîne, se déchaîne. »
Un sillon que Laurent Cantet continuera sans aucun doute à creuser avec son prochain film, Arthur Rambo, traitant des réseaux sociaux et de leurs incidences sur nos vies.
Intime et politique !
SOURCES
https://festival-larochelle.org/edition/2017/texte/laurent-cantet/
Qui est Karim D. ? Ce jeune écrivain engagé au succès annoncé ou son alias, Arthur Rambo, qui poste des messages haineux que l’on exhume un jour des réseaux sociaux…
La Ciotat, été 2016. Antoine a accepté de suivre un atelier d’écriture où quelques jeunes en insertion doivent écrire un roman noir avec l’aide d’Olivia, une romancière connue. Le travail d’écriture va faire resurgir le passé ouvrier de la ville, son chantier naval fermé depuis 25 ans, toute une nostalgie qui n'intéresse pas Antoine. Davantage connecté à l'anxiété du monde actuel, il va s’opposer rapidement au groupe et à Olivia, que la violence du jeune homme va alarmer autant que séduire.
Une terrasse qui domine la Havane, le soleil se couche. Cinq amis sont réunis pour fêter le retour d'Amadeo après 16 ans d'exil. Du crépuscule à l’aube, ils évoquent leur jeunesse, la bande qu'ils formaient alors la foi dans l'avenir qui les animait … mais aussi leur désillusion d’aujourd’hui.
1955. Un quartier populaire d’une petite ville des États-Unis. Cinq adolescentes concluent un pacte à la vie à la mort : elles seront le gang Foxfire et vivront selon leurs propres lois. Mais cette liberté aura un prix…
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